La puissance du destin, tome I
La puissance du destin, chapitre 1, extrait
Chapitre 1er
La débâcle
Le Lieutenant Discours fit signe aux cinq hommes qui le suivaient de se mettre à couvert dans le petit bois. Ces hommes étaient les seuls survivants du Groupe Franc. Le sergent Paul Walter couvrait le repli avec son F.M. 1924-1929. Les munitions étaient presque épuisées, comme les hommes. Les troupes allemandes quadrillaient toute la zone, refermant la poche ou plus de quatre cent mille hommes étaient encerclés par l’élite des troupes allemandes. On se battait encore dans le Toulois où les Coloniaux, la Légion et les Tirailleurs se faisaient hacher par l’artillerie et la Luftwaffe omniprésente.
L’unité du Lieutenant couvrait la retraite depuis des jours. La fatigue autant que la faim creusaient les visages. Les pertes étaient lourdes. Ainsi en ce chaud soleil de juin, le petit groupe tentait d’échapper à la mort ou à la capture, se cachant le jour pour marcher la nuit. L’ennemi tenait solidement les carrefours et occupait déjà les villages où les soldats n’osaient s’aventurer pour se ravitailler. Bon nombre d’habitants avait fui devant l’avancée allemande, encombrant les routes déjà surchargées par les convois d’une armée en déroute que personne ne commandait déjà plus. Les routes de la débâcle étaient constamment mitraillées et l’on y tuait indistinctement civils et militaires.
Très vite le groupe Franc s’était trouvé isolé, sans possibilité de rejoindre un régiment décimé et en déroute.
C’était chacun pour soi.
A peine entrés sous le couvert, les six hommes s’étaient effondrés. Plus d’une heure après, le sergent fut le premier à reprendre ses esprits. Il fit le tour de leur abri précaire. Ils étaient en lisière d’un champ de blé qui laissait entrevoir des passages de chars. Les Allemands étaient déjà plus loin, poursuivant l’Armée en retraite. Il fit un rapide calcul de ce qu’ils leurs restaient. Son F.M. n’avait plus que deux chargeurs, la mitraillette du lieutenant n’avait plus qu’un chargeur. Émile, un solde paysan mussipontain avait récupéré un pistolet mitrailleur allemand avec le chargeur plein mais c’était tout. Les autres n’avaient que leur Lebel avec deux ou trois chargeurs pleins. La nourriture était réduite à deux boites de singe, autrement dit rien ; même les bidons étaient vides.
Au loin la canonnade ne cessait pas. On accrochait partout.
Pourtant lorsqu’il avait rejoint le corps franc en novembre 1939, la guerre promettait d’être franche et joyeuse. Il avait demandé à faire partie du corps franc qu’organisait le jeune sous-lieutenant Discours, nouvellement promu au sortir de Saint Cyr. Le régiment était cantonné près de la frontière, en Sarre française. Les patrouilles s’opéraient chaque jour dans les villages abandonnés faisant partie du no-man’s land. Le lieutenant, malgré des ordres contraires, cherchait le contact et les accrochages devenaient fréquents. Au début de l’hiver, certains avaient été violents avec des troupes adverses jeunes et déjà combatives. La chance était du côté des Français et les pertes rares. Au printemps, ils étaient devenus plus difficiles, les Allemands semblaient prudents, quelques prisonniers avaient été faits. Il s’agissait de territoriaux âgés, peu enclins à en découdre. Le climat militaire avait changé.
Les rapports de patrouille arrivaient sur le bureau du Capitaine Larcher, un ancien de la dernière guerre. Visiblement les troupes qui faisaient face avaient changé. Où se trouvaient-elles ? Larcher pressait le Colonel d’essayer d’envoyer plus de monde pour voir ce qu’il en était. - Une percée, Capitaine ? Mais vous n’y pensez-pas !
Faute d’exploiter cette situation nouvelle, le front ne bougeait pas. L’État-major avait préconisé d’attendre que l’ennemi fasse mouvement. Il serait broyé par le tir des forts de la ligne Maginot. Pourquoi l’ennemi attendait-il ? Tout simplement parce que nous étions les plus forts et que la route du fer était coupée…
A ce moment si l’on avait poussé plus avant, nos chances auraient été différentes car l’Allemagne profitait de notre inaction pour forger une armée mécanisée avec des chars modernes et une stratégie de guerre éclair contre une stratégie d’attendre et voir venir. Le piège était tendu là-bas dans le Nord, en Hollande et en Belgique.
L’invasion allemande avait réussi à rejeter une partie de nos meilleurs éléments vers la mer, à Dunkerque ; l’autre partie s’ingéniait autant à assurer ses arrières qu’à faire front face à des divisions parfaitement entraînées. Nos troupes se battaient en ordre dispersé, sans ligne de bataille organisée et surtout avec un commandement que rien n’avait préparé à un type de guerre nouveau où l’aviation était parfaitement coordonnée avec les troupes au sol. L’Armée Française se délitait avec des pertes énormes, privée du soutien aérien Français, les Anglais préférant se battre désormais pour protéger leur seul territoire.
Paul Walter alla réveiller le lieutenant qui, ivre de fatigue s’était assoupi la tête sur sa musette, laquelle ne contenait plus que du linge de corps qu’il avait pu sauver de son paquetage, abandonné depuis longtemps.
- Excusez-moi, mon lieutenant, mais nous ignorons où nous nous trouvons … nous n’avons plus de cartes ni de boussole…pas plus que de munitions suffisantes et presque rien à manger. M’autorisez-vous à voir ce qu’on peut trouver ?
- Allez-y Paul, prenez un des hommes… !
- Non mon lieutenant, je m’en sortirai mieux tout seul et s’il y a du grabuge vous pourrez me couvrir ou décamper si je ne peux rejoindre…
- Comme vous voulez… Émile assurera la couverture avec le F.M !
Le sergent, malgré sa fatigue, était le seul encore un peu lucide. Il fallait savoir où aller et surtout trouver des munitions et du ravitaillement. Il n’avait pris qu’un pistolet, un chargeur et son couteau qui lui avait déjà permis de se sortir d’une vilaine situation en Sarre, il y a quelques mois, en patrouille. Son arme s’était enrayée et un grand diable d’allemand lui avait foncé dessus, sans doute à court de munitions, la baïonnette à la main. Il avait été le plus rapide et avait eu de dessus.
En lisière du petit bois, à cinq cents mètres de leur abri, il sentit une odeur pestilentielle. Il s’approcha. Trois soldats français avaient trouvé la mort à cet endroit. Les Allemands avaient abandonné corps et armes. Malgré une répugnance bien naturelle, il fouilla les dépouilles.
Il ne trouva qu’une boite de sardines mais une douzaine de chargeurs et les fusils des morts. Il en prit un et enterra les culasses des autres. Faute de donner une sépulture décente à ces pauvres diables, il les recouvrit de branchages et de terre, raclée avec un casque. Il planta un fusil en terre, au pied les trois casques et continua. Bien lui en prit. Il vit à une centaine de mètres une petite maison. Il s’y dirigea avec prudence, le champ cultivé alentour, déjà haut, lui permettant une approche discrète. La maison avait été abandonnée ; la porte était brisée. A l’intérieur tout était dévasté ; l’ennemi s’était acharné à détruire un pauvre mobilier, témoin de l’indigence de l’habitant. Il y trouva cependant sous le lit des bocaux de haricots verts et une bouteille de vin ordinaire, réchappés du carnage, qu’il glissa dans sa musette et dans un panier à pommes trouvé sur place. A l’arrière de la maison, un petit appentis était à moitié entrouvert et ce qu’il y découvrit le révolta et lui pinça l’estomac. Le pauvre propriétaire de la maison avait été assassiné à coups de baïonnette. Il fit comme pour les autres soldats, recouvrit sommairement le cadavre. Les soldats qui avaient fait cela méritaient d’être retrouvés et fusillés même s’ils avaient la force pour eux. Soudain il tressaillit : des hommes s’approchaient, il entendait des voix allemandes. En fait, deux soldats semblaient seuls. Ils pénétrèrent dans la demeure et commencèrent à fouiller. Paul Walther s’approcha lentement de l’entrée. Les deux Allemands avaient posé leurs armes contre la table.
- Le vieux a bien dû cacher de l’argent quelque part… Tu ne trouves rien Otto ?
- Je cherche, va dans la chambre !
Le sergent fit brusquement irruption, l’arme au poing. Les deux vautours étaient sans doute les auteurs de l’assassinat revenant sur leur pas. Dans leur langue – qu’il parlait couramment – il leur dit qu’ils allaient payer pour leur crime. Les deux hommes portaient l’uniforme noir des tankistes. Ils levèrent les bras, lourdement. Paul Wagner sortit son révolver avec sa main gauche, tout en les tenant en joue, calant son fusil contre son corps, doigt sur la gâchette :
- Dans la chambre salopards !
L’allure décidée et l’impression de force du sergent ne leur laissaient pas d’illusion ; ils ne tentaient aucun geste, les mains sur la nuque. Celui-ci prit un oreiller sur le lit et, s’en servant comme d’un silencieux, il abattit le premier soldat. Le second l’implorait en vain :
- Nicht schiesse , gruss got !
Il se jeta sur le sol et reçut une balle dans la tête. Le sergent les fouilla, prit leurs armes. Au fond du sac de l’un d’eux, il trouva deux bagues, un plumier en bois blanc duquel il tira un crayon à papier et inscrivit sur le couvercle d’une boite à sucre : « Ces hommes ne se sont pas conduits en soldats, ils ont tué pour voler. Moi, disposant de l’autorité militaire, ait jugé et exécuté ces assassins. » Il signa de son paraphe élégant et illisible et laissa le sac bien en vue, avec son message. Il était temps de partir … Il rejoignit ses camarades avec ses prises, les trouvant dans l’anxiété, raconta ce qui s’était passé.