Ivan Smolensky

la colère de Dieu, chapitre 1, extrait

CHAPITRE 1er : La rencontre secrète

 

La jeep militaire venait d’apparaître au tournant menant à la colline. L’homme masqué par  un rocher signala par  talkie-walkie l’arrivée imminente dans le petit hameau perché au sommet.

Abdul donna ses ordres. Chacun prit position tout autour de ce qui restait d’un petit village vidé de ses habitants depuis le récent bombardement. De nombreux villageois avaient été blessés et emmenés sur l’hôpital de Kandahâr. Ceux qui avaient été tués  avaient été immédiatement ensevelis, comme le veut la tradition. Les autres étaient partis. Les américains étaient désolés, il s’agissait d’une erreur de l’artillerie, les survivants seraient largement dédommagés.

Dans une des rares maisons à peu près intacte, l’Emir attendait son visiteur. Il partirait ensuite. Ses hommes comme à l’accoutumée rejoindraient leurs familles cachant leur armement dans le village dans une cave qui avait été aménagée sous une maison à moitié détruite. Messaoud  le berger était le seul et unique habitant restant au village .Il veillait sur la cache. Le commandant américain l’avait  aussi indemnisé pour la perte d’une partie de son troupeau et les patrouilles ne passaient plus dans ce secteur. Qui pouvait se méfier de ce pauvre homme pratiquement édenté, vêtu de façon si misérable.

Le 4X4 neuf stoppa à l’entrée du bourg. Le chauffeur en uniforme de la police afghane resta au volant. Le passager était en civil, vêtu à l’occidentale, à l’allure sportive. 

Le capitaine Mohabat Nasren venait d’avoir trente- deux ans. Il avait intégré la police depuis plus de deux ans et devait sa promotion non seulement à sa grande intelligence mais aussi parce qu’il incarnait l’Afghanistan moderne. Parlant plusieurs langues, il avait été remarqué  comme un élément de valeur. Il côtoyait la plupart des officiers de la Coalition et était reçu par certains comme un ami, chose exceptionnelle car ces officiers tenaient leur distance avec les Afghans. Mohabat, était de bonne compagnie,  jouait au golf et se sentait l’objet des regards féminins lors des barbecues organisés par les officiers étrangers. Sa fine moustache lui donnait un air à la Clark Gable. On le disait très informé.  Il avait contribué à des arrestations spectaculaires de trafiquants de drogue. On avait peu de renseignements sur sa famille : le bruit courait qu’il était le fils d’un riche négociant se rendant souvent au Pakistan. Il avait disparu un jour sans doute assassiné par des bandits provenant d’une zone tribale lors d’un voyage de retour. Mohabat avait fait des études à Peschawar puis en Angleterre.

Ce qu’on ne savait pas en revanche c’est que son père, sous une couverture commerciale, était en fait chargé de l’approvisionnement du gouvernement Taliban. Il avait été tué dans un raid mené par les B 52 peu avant la chute du régime taliban. Ce jour-là sa fiancée qui avait accompagné son père dans ce voyage avait péri.

Quittant l’université et l’Angleterre, il était rentré pour se battre contre la Coalition. L’Émir qui était un ami de son père l’en avait dissuadé. La Cause avait besoin d’hommes infiltrés dans les rouages du nouvel état.                                          

Mohabat pénétra dans la modeste demeure, il écarta le rideau de toile. L’Émir se tenait dans ce qui paraissait la pièce principale. Il semblait âgé, avec sa longue barbe grisâtre qui cachait un visage au nez busqué. Un œil était fermé. Il l’avait perdu ainsi que son bras gauche il y a longtemps. Il luttait alors contre le régime pro- soviétique et avait été blessé dans un affrontement avec les soldats de Najibulah.

Un peu plus tard il avait fait la connaissance d’un certain Ben Laden avec lequel il s’était lié d’amitié. Il était entré dans l’organisation d’Al Quaïda, gravissant les marches de la hiérarchie au fur et à mesure de la disparition brutale des dirigeants. Il était devenu à ce jour un des chefs du mouvement.

Il accueillit son visiteur avec empressement.

-Bonjour Mohabat, je vois que tu es toujours le même ! Quelles bonnes nouvelles m’apportes-tu ?

- Je suis heureux de te voir mon grand ami. Oui je vais pour le mieux. Je suis toujours tenu en grand estime par nos ennemis.

Comme tu me l’avais demandé, j’ai accepté un stage de perfectionnement. Je pars pour la France dans une quinzaine de jours. Je suis attendu à Marseille et serai affecté dans leurs services de police, sans doute pour six mois.

- C’est une très bonne nouvelle pour la Cause ! Tu remplaceras notre ancien responsable, Khader[1] qui a été tué par les français il y a plusieurs mois. Tu seras rejoint par des frères qui te contacteront là-bas. Ta mission est essentielle et nous comptons sur toi mais sois prudent. Les croisés se méfient toujours depuis l’enlèvement de leur Président[2].

 -Tu sais que j’entretiens d’excellents rapports avec l’agent de la C.I.A. Mac Call et un de ses amis Murphy de la D.I.A, répondit Mohabat .Avec eux j’ai mes entrées. C’est une véritable caution, personne ne pourra me soupçonner.  Grâce à toi j’ai arrêté plusieurs trafiquants de drogue.

-C’était des indépendants, ils travaillaient pour eux seuls et non pour nous. Cela élimine la concurrence, n’est-ce –pas ?

L’émir se mit à rire.

- Nous n’allons pas nous revoir avant longtemps, peut-être jamais. Tu sais que je te considère comme mon fils !

- Et moi comme un père, tu as veillé sur moi depuis la mort du mien. Je te suis redevable et fier de la mission que tu vas me confier.

- Lorsque tu seras installé, tu réceptionneras un colis. Celui-ci sera destiné à anéantir à jamais plusieurs villes de ce qui a été la première zone touristique de ce pays impie. Ce n’est qu’une juste punition pour un lieu de débauche et de luxure.

- Mais beaucoup de nos frères vont mourir ? Une partie importante de nos frères arabes vit dans cette région...

L’Émir souleva ses épaules de façon fataliste.

- C’est vrai, mon fils. Nous livrons un combat, cela entraîne des sacrifices, des pertes inévitables, des martyres ! C ‘est la volonté d’Allah Le Tout Puissant. Mohabat tu as perdu ta famille, ta fiancée. Ils étaient innocents, ils sont devenus des martyrs. C’est notre destin et c’est notre devoir d’agir, de nous battre et c’est une bataille que tu vas livrer avec ce qu’il y a de plus puissant.

- Tu as raison, c’est une bataille, je la livrerai avec détermination, affirma Mohabat.

-  Parfait ! Je n’en attendais pas moins de toi ! 

-  Quand penses-tu que cette arme arrivera ?

- Cela ne dépend pas de nous. Notre intermédiaire doit attendre le moment favorable mais je pense que tu  la recevras  dans un mois et demi environ, peut être deux car le transport ne va pas être facile.

- Es-tu certain d’obtenir cette bombe car je me doute qu’il s’agissait d’un engin nucléaire ? reprit le jeune homme.

- Notre intermédiaire a déjà touché une partie de l’argent. Il sait qu’il sera éliminé s’il échoue ; mais il nous a donné des garanties, reprit l’Émir.

- As-tu une solution de remplacement ? Il faut un plan.

Le vieil homme fit un geste de sa main valide. Nous avons prévu une solution de rechange, sois tranquille. Nous avons obtenu de nos amis pakistanais un poison puissant. Quelques gouttes dans l’eau du réseau peuvent anéantir des milliers d’individus.

Néanmoins cette solution n’est qu’un pis- aller, sa  mise en œuvre sera plus difficile. C’est la raison pour laquelle nous voulons employer une arme puissante qui s’abattra sur ce pays comme la foudre. Ce sera la colère de Dieu.

- J’espère donc que tout se passera comme prévu.

- Mohabat, un spécialiste sera à tes côtés pour t’assister. C’est un homme sûr, il connait ces armes. Voilà mon fils il est temps de nous quitter, qu’Allah te protège !

- Je me montrerai digne de la Cause. Allah Akbar ! Les deux hommes se donnèrent l’accolade et s’embrassèrent. Les dés étaient jetés, chacun allait vers son destin.

Mohabat rejoignit son véhicule qui prit la direction de la ville. Il ne dit mot à son chauffeur, tout à ses pensées.            

            Le colonel Guennadi Petrovitch Bornikoff était soucieux. Il avait un rôle à jouer mais craignais d’être un mauvais acteur, ce qu’il devait faire marquerait un tournant décisif dans sa vie, pour lui comme pour sa famille. Il allait devoir se cacher tout le restant de sa vie. Tout ceci ne serait pas arrivé sans une passion stupide pour le jeu. Il avait perdu gros dans une folle partie avec des partenaires douteux. Il n’avait pas les moyens de rembourser et l’un des participants, le gagnant de la partie avait été clair : ou il trouvait le moyen de payer ou sa famille paierait de façon radicale et définitive. Le colonel savait qu’il était dans les mains de la mafia, sans doute caucasienne et que ces gens-là n’auraient aucune pitié.

Le maffieux toutefois était prêt à un arrangement en échange d’une collaboration du colonel. S’il acceptait, on lui assurerait de quoi mener une vie agréable dans un autre endroit du globe et l’on faciliterait sa fuite du pays. Le maffieux l’avait tout de suite mis en garde contre toute tentative maladroite. On s’en prendrait à sa femme, quant à sa fille, Olga…

Le colonel était acculé.

Le lendemain, il avait pris sa décision : il fallait en parler avec son ami et adjoint, responsable de la sécurité Mikhaïl Pavlovitch Sortine. Il n’avait plus d’autre choix dans son esprit. Mikhaïl était efficace et surtout discret.

Il lui dévoila la machination.

Sortine n’avait pas été surpris, d’abord parce qu’il savait son ami joueur invétéré mais aussi parce que ce genre de situation était un cas d’école pour les responsables de la sécurité, formés par les services secrets de l’Armée.

            Le général Piotr Alexandrovitch Kouskoff, chef du F.S.B. devait être informé au plus vite.  Sur les conseils de son ami, Guennadi Bornikoff avait fait savoir au maffieux qu’il désirait lui parler. Un rendez-vous fut pris dans un terrain vague non loin de Krasnodar.

Le maffieux n’était pas seul. Un autre personnage l’accompagnait. C’était un homme d’une cinquantaine d’années, visage fin, avec des vêtements de bonne coupe, et des lunettes qui lui donnaient l’apparence d’un intellectuel. Son teint était légèrement  basané.

- Bonjour colonel, dit le maffieux, avez-vous réfléchi ?

- Oui, bien sûr, vous ne m’avez pas donné beaucoup de temps. Je n’ai pas l’argent et pas les moyens de vous rembourser mais vous voulez autre chose, n’est-ce pas ?

- C’est vrai, ce que je veux n’est pas compliqué, c’est simplement une des têtes de votre missile Boulova. Le missile lui-même ne m’intéresse pas. Ce serait trop compliqué de déplacer un engin de plus de onze mètres.

- Que voulez-vous faire avec une tête nucléaire, détruire un territoire ? Faire du terrorisme ?

- Mais rien de tout cela, cher colonel, disons que c’est pour un collectionneur particulier. Par contre, je vous mets en garde contre toute manipulation, la tête devra être intacte ! Me suis-je bien fait comprendre ? J’aurais les moyens de vérifier le parfait état de l’engin, mon ami est un spécialiste de la question. Il va sans dire que toute tentative pour nous tromper entraînera des représailles, définitives je le crains !

- Il me faut des garanties pour ma famille et pour moi  de fuir le plus loin possible. Je pense qu’un million de dollars me permettrait d’assurer l’avenir !

- Vous allez vite en besogne colonel ! Pour la somme je vais voir ce que l’on peut faire.    

- Comment comptez-vous vous y prendre pour faire sortir la tête nucléaire ? J’ai une inspection dans une dizaine de jours. Il faut que tout soit en ordre, cela laisse un délai de quinze jours au plus avant une nouvelle inspection !

- Nous agirons après votre inspection mais en attendant j’ai aussi besoin de garanties. Votre fille est bien à Moscou ? Il faut qu’elle revienne ici, trouvez un prétexte ! Elle sera sous notre protection pendant quelques jours, le temps de nous assurer que vous ne nous jouez pas un tour.

- C’est impossible, je refuse, laissez ma famille en dehors de toute cette affaire !

- Je crois que vous n’avez pas bien compris la situation. Nous ne voulons pas être roulés ! Par ailleurs on ne pourra pas vous exfiltrer au compte-gouttes ; Il faut que vous soyez tous ensemble. Votre fille ne court aucun risque, rassurez-vous. On vous donnera un acompte, le reste quand vous serez en sécurité et nous aussi.

Bornikoff sembla résigné.

- Bon, d’accord mais comment ferez-vous pour faire sortir la tête nucléaire ?

- Nous aurons un ordre de mission pour l’enlèvement d’une pièce. Vous n’aurez qu’à donner votre feu vert, c’est assez simple. Pour les papiers, c’est notre affaire.

- Il me faudra partir assez vite !

- Le jour même on s’occupera de vous faire disparaître.

- Quelle certitude aurais-je de ne pas être supprimé ?

- Voyons colonel, nous sommes des gens de parole, vous tuer serait dangereux aussi pour nous !

- Je vous recontacterai avant l’inspection.

Ils se quittèrent sur cet échange ; la partie commençait. 


[1] Voir « Le Président a disparu » du même auteur.

[2] Idem.



14/05/2013
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